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15 janvier 2020 3 15 /01 /janvier /2020 15:18

Notre-Dame :

Autour de la flèche de Viollet-le-Duc à la mâle énergie : modèle, trahison, érection, éviction (1)


 

1163 Début de la construction de la cathédrale

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1220 (vers)  Fin de la construction de la nef, charpente et couverture comprises. On ignore s’il y avait ou non une flèche à la  croisée du transept (sans doute que oui).

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1230 (vers) Un incendie détruit la charpente supérieure et les combles (selon Viollet-le-Duc).

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1243 Garinus Delivré, paysan de Sucy-en-Brie, mon ancêtre, se porte garant (plège) pour l’affranchissement d’un de ses amis, Jean Vacarius. Pour fêter ça ils font le voyage à Paris, distant d’une quinzaine de kilomètres. Ils admirent la nouvelle toiture de la cathédrale en cours de construction et son impressionnante charpente, que le peuple appelle déjà la forêt. Au-dessus  de la croisée ils peuvent voir (ce qui n’est pas facile vu l’encombrement des habitations et l’étroitesse des rues) une flèche toute neuve, clocher non encore recouvert de plomb, mais contenant en son sommet une boule de cuivre doré renfermant des reliques, pour éloigner la foudre.

1240-50 Les deux tours de la façade occidentale sont achevées. On abandonne l’idée de les doter d’une flèche. La cathédrale n’aura donc qu’une seule flèche, celle du clocher de la croisée du transept et cela pour plus de cinq siècles. Cette silhouette s’imprime à vie dans la mémoire visuelle et affective de millions de parisiens, ce dont on se moque bien aujourd’hui puisqu’on préfère avec raison écouter l’opinion des vivants plutôt que celle des morts.

 

1726 Le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, intervient sur  l'architecture de la cathédrale. Il fait reconstruire la grande voûte de la travée qui menaçait de tomber en ruine (charpente et voûtes sont structurellement indépendantes). Il rénove des éléments de charpente et de la toiture, dont il fait changer tous les plombs, mais garde la flèche d’origine.

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1771,  A la demande du clergé, l’architecte Soufflot (celui du Panthéon) fait disparaître le trumeau et une partie du tympan du portail central, pour faciliter le passage des dais des processions. Sa réputation en pâtit encore aujourd’hui.

1793 Dépose de la flèche du XIIIe siècle, qui donnait de graves signes de faiblesse. Si elle disparait matériellement, on en possède plusieurs représentations par quelques vues de la cathédrale (peintures ou gravures) entre XVème et XVIIIème siècle. Iconographie fiable, un peu ou pas du tout ?

1821  Parution de La Description historique de la Basilique Métropolitaine de Paris de Antoine-Pierre-Marie Gilbert (1785-1858), « grand sonneur » de la cathédrale mais aussi archéologue fort érudit. De courts extraits de cet ouvrage méritent d’être repris :

«  CHIARPENTE DU GRAND COMBLE.

Les curieux verront sans doute avec intérêt la charpente du grand comble de l'édifice, vulgairement appelée la forêt depuis un temps immémorial… …..Cette vaste charpente soutient toute la couverture en plomb, et porte de toutes parts sur les gros murs de l'édifice; la partie centrale au-dessus de la croisée, également appuyée sur les quatre piliers angulaires, soutenoit un clocher qui a été abattu en 1793… …. Deux poutres ou entraits, du plus fort équarrissage, traversent diagonalement le centre de la croisée, et servent d'empâtement à un poinçon taillé en forme de pilastre gothique, sur lequel s'élevoit l'aiguille du clocher.

 ANCIEN CLOCHER .

Sur la plate-forme octogone que l'on aperçoit au centre de la croisée, s'élevoit autrefois une flèche ou clocher couvert en plomb, d'une construction élégante et hardie; son inclinaison vers le sud-est, faisoit craindre une chute prochaine, lorsque l'autorité municipale…   … ordonna la destruction de cette flèche en 1793, pour disposer du plomb en faveur du gouvernement révolutionnaire. Sa hauteur, depuis la plate-forme jusqu'à la tête du coq, étoit de cent quatre pieds : il résulte que cette flèche s'élevoit à deux cent quarante pieds au-dessus du sol de l'église. Elle étoit surmontée d'une grande croix en fer entée dans une boule de cuivre doré, dans laquelle on trouva en démolissant la flèche, une petite boîte de plomb, de trois pouces six lignes de longueur, contenant quelques parcelles de reliques inconnues…

Cette flèche contenoit six cloches, dont quatre, très-estimées pour leur harmonie, servoient, conjointement avec les grosses cloches des deux tours, pour annoncer l'office divin. Ces six cloches ont été cassées en 1792. »

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1831 Parution de Notre-Dame de Paris. Dans la longue description qu’il fait de la cathédrale, Victor Hugo mentionne le souvenir qu’ont les parisiens de la flèche médiévale, même s’il se trompe sur la date de sa dépose ! 

« Et si nous montons sur la cathédrale, sans nous arrêter à mille barbaries de tout genre, qu’a-t-on fait de ce charmant petit clocher qui s’appuyait sur le point d’intersection de la croisée, et qui, non moins frêle et non moins hardi que sa voisine la flèche (détruite aussi) de la Sainte-Chapelle, s’enfonçait dans le ciel plus avant que les tours, élancé, aigu, sonore, découpé à jour ? Un architecte de bon goût (1787) l’a amputé, et a cru qu’il suffisait de masquer la plaie avec ce large emplâtre de plomb qui ressemble au couvercle d’une marmite. C’est ainsi que l’art merveilleux du moyen âge a été traité… »

Le génial romantique s’est un peu emporté : il s’est trompé de date de démontage de la flèche (1793 et non 1787) et le « charmant petit clocher » n’était pas si petit que ça (104 pieds si l’on en croit Gilbert qui l’avait vu de ses yeux vu jusqu’à l’âge de huit ans, puisque né en 1785, contrairement à l’écrivain, né en 1802).

Dessin de Garneray, qui serait une représentation de la flèche médiévale

1831-1838 Issu d’une famille aisée et artiste, Eugène Viollet le Duc (1814-1879) étudie d’abord chez l’architecte Leclère, puis refuse  de passer par l’école des Beaux-Arts qui est selon lui un « moule à architectes » dont l’élève « sort de là objet fabriqué de première, de seconde ou de troisième catégorie ». Il préfère le contact direct avec les monuments, voyage sans cesse de 17 à 24 ans. Dessinateur exceptionnel il découvre ainsi la France, l’Italie, la Sicile, mais aussi le Moyen Âge. Il dessine, dessine, dessine, apprenant autant sur le patrimoine médiéval qu’antique.  Tordant parfois le cou à la réalité, il apprend à jouer avec le patrimoine, à travers ses « restaurations ». A l’époque, une restauration pour un architecte était d’abord un dessin artistique d’imagination réalisé à partir de ruines ou du moins d’un bâtiment endommagé, en projetant son remontage ou simplement un aspect complet, fini (restaurer = remettre debout), en fonction à la fois des critères esthétiques et des connaissances archéologiques du temps. Ce sens perdurera un certain temps

Le sens en sera donc double, qui passera de celui de projet (plus ou moins utopique) à celui de réalisation. Le début de l’article « Restauration » du Dictionnaire raisonné de Viollet le Duc commence d’ailleurs ainsi « Restauration, le mot et la chose sont modernes... ».

On voit bien à travers les photos (prises en 2019) du site de Taormina (Sicile) et l'extraordinaire dessin aquarellé qu’en a fait Viollet-le-Duc pendant son séjour du 14 au 18 juin 1836 que le théâtre antique « restauré » est inséré dans un paysage ramassé, idéalisé (dans la réalité, on ne peut pas  voir à la fois la partie haute du théâtre à droite et la mer à gauche)

1840 La notoriété de Viollet-le-Duc s’accroit avec les débuts des restaurations de l’archevêché de  Narbonne et de la basilique de la Madeleine de Vézelay.

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1840. Fameux daguerréotype pris avant la restauration de Lassus et Viollet le Duc . On peut noter l'absence des statues de la galerie des rois (détruites à la Révolution) et le portail central du Jugement Dernier radicalement transformé par Soufflot en 1771. 

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/d/d7/Notre_Dame_de_Paris_en_1840.jpg/170px-Notre_Dame_de_Paris_en_1840.jpg

1843 Le 31 janvier, Lassus et Viollet-le-Duc déposent un projet de restauration de Notre-Dame de Paris. dans lequel ils indiquent que « …chaque partie ajoutée… doit être conservée, consolidée et restaurée… cela avec une religieuse discrétion… ». «… l’artiste doit s’effacer entièrement, oublier ses goûts… … il ne s’agit pas de faire de l’art, mais seulement de se soumettre à l’art d’une époque qui n’est plus ». L’adjectif « religieux » est sans doute choisi  par Lassus, qu’on sait empreint d’une grande poésie religieuse plutôt que par Viollet-le-Duc, non-croyant. Ce projet est accepté le 11 mars 1844. Jean-Baptiste Lassus (1807-1857), fut l’un des premiers architectes-restaurateurs incluant à ses projets un raisonnement véritablement archéologique. Ce fut lui le véritable professeur en architecture de Viollet-le-Duc, lui transmettant son savoir au cours d’une bonne dizaine d’années de collaboration.

Projet de restauration de la façade méridionale de Notre-Dame de Paris, dessin de Lassus et Viollet-le-Duc, 1843

Lassus et Viollet le Duc avaient trouvé dans la riche documentation de A.-P.-M. Gilbert le dessin du grand portail qu’ils firent graver avec la mention « Tiré du cabinet de M. Gilbert » pour le publier en tête de leur rapport.

Gilbert possédait aussi une copie d’un dessin de Garneray père (1755-1837) représentant l’ancienne flèche du XIIIe siècle détruite sous la Révolution. Cette copie était due à Émile Boeswilvald (1815-1896), l’architecte qui réalisa en 1858 la flèche de la cathédrale d’Orléans dont s’inspirera Viollet-le-Duc pour construire celle de Notre-Dame de Paris avec l’aide du même charpentier Bellu. Lassus et Viollet-le-Duc promirent aussi la reconstruction de la flèche d’origine – qu’ils agrémentèrent de crochets sur les arêtes – comme en témoignent les dessins de la cathédrale inclus dans leur projet de restauration. (ici la flèche du dessin de Garneray puis celui de la flèche dans le projet).

 

   

 

1845-46 Viollet-le-Duc a en charge le démontage la flèche de la tour nord de la basilique de Saint-Denis, très atteinte par de fortes intempéries les années précédentes. Il participe à sa documentation, en vue d’un remontage futur. Il ambitionne de rendre à la basilique ses imposants volumes et aux chapelles absidiales leur niveau et leur décor d’origine. Il projette également de reconstruire la façade occidentale, comme en témoigne un autre dessin de janvier 1860. Mais trop coûteuse, cette dernière opération ne put être menée à bien, ce qui le désole fortement « sa destruction (de la tour donc de la flèche), pour éviter un désastre, fut considérée comme un malheur public ». Cette flèche fait partie de celles à la « mâle énergie », dont il parle dans son fameux « Dictionnaire raisonné… ».

1850 Interruption des travaux à Notre-Dame, suite à l’absorption complète des crédits. Viollet-le-Duc et Lassus rédigent un rapport économique et d’évaluation générale sur les problèmes de réfection de la façade (nombreuses sculptures à recréer) et de la flèche

La cathédrale Notre-Dame pendant les travaux de 1845-1863 : la sacristie est terminée mais la flèche pas encore rétablie. Harrouart, avant 1859, musée Carnavalet.

1851 Viollet le Duc est très apprécié et connu de ce qui allait être le pouvoir impérial, ce qui le servira beaucoup pour sa carrière : trois semaines après le coup d’Etat du 2 décembre qui sera suivi du triomphal plébiscite en faveur du futur Napoléon III, il est nommé le 25 décembre avec Lassus « ordonnateur de la cérémonie qui doit avoir lieu le 1er janvier prochain dans l’église Notre-Dame de Paris à l’occasion du vote des 20 et 21 courant »

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1853 Les travaux reprennent sur la cathédrale.

 

de 1854 à 2099, à suivre très bientôt... 

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