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25 mars 2018 7 25 /03 /mars /2018 12:30

1969   Une bêtise au lycée militaire de Saint-Cyr

 

J’avais du cirage noir dans les poches, j’avais à peine 17 ans, l’âge des bêtises et des provocations. C’était aussi l’âge de Saint Augustin lors de son fameux vol de poires. Il est difficile de l’imaginer grand ado, mais pourquoi pas.... 

Il est minuit au lycée militaire de Saint-Cyr. Mon dortoir se trouve dans le même ensemble de bâtiments que celui que mon père fréquenta comme élève officier dans les années 1930. Non loin de Versailles, cette super-caserne fut construite fin XVIIème siècle pour accueillir les jeunes filles de famille noble dans le besoin, les fameuses « demoiselles de Saint-Cyr ».

 

Il y a longtemps que le sous-officier chargé de notre surveillance a demandé l’extinction des feux, a vérifié que les lumières étaient éteintes dans le dortoir, et qu’il est lui-même parti se coucher.

Nous sommes quelques-uns à ne pas nous être endormis, tout excités de l’aventure que nous avons concoctée pour la nuit. Rhabillés de notre tenue de semaine, nous enfilons nos rangers, mettons les boites de cirage dans nos poches et empruntons silencieusement le couloir qui mène à l’escalier.

Aucun bruit, nous pouvons continuer.

Nous sommes pensionnaires depuis bientôt deux ans dans ces grands bâtiments, en connaissons les dédales par cœur. Il nous est facile d’en sortir pour traverser les grandes cours, vides et silencieuses.

Nous avions beaucoup de cirage noir en réserve, car, selon certains esprits ironiques, la force des armées tient dans l’entretien des chaussures. Ce n’était pas faux lors de l’épopée napoléonienne, par exemple.

D’ailleurs, le « sous-officier chargé de notre surveillance » ne vérifie-t-il pas tous les matins la qualité de la brillance de nos chaussures, lors du rassemblement à l’extérieur où nous sommes placés dans un alignement plus ou moins correct? Cela avant d’aller prendre notre petit-déjeuner à l’autre bout du lycée, pour regagner ensuite nos salles de classes (je suis en Terminale).

 

Nous voilà enfin dans le parc. La nuit est assez claire.  A notre droite le stade, au loin devant nous la piscine, et puis légèrement à notre gauche un monument commémoratif. Nous ne savons rien de ce monument, de ce qu’il commémore, ce n’est pas notre souci. Ce que nous voulons, c’est faire une farce, une farce de potache bien déluré, à la Saint Augustin (que je ne connaissais évidemment pas encore).

Sur ce monument de dimensions moyennes en pierre calcaire claire se trouve une figure principale, celle de la sculpture grandeur nature d’un jeune officier français debout. Il est visiblement l’auteur d’un acte héroïque. A ses côtés, légèrement en arrière et l’entourant en contrebas, le fusil à la main et prêts à le défendre, quelques tirailleurs sénégalais sont sculptés en demi-relief.

Nous n’avons rien à faire de la signification du monument, de son esthétique, du pourquoi de sa présence. La seule chose qui nous préoccupe, c’est la couleur blanche des visages des africains. Nous vérifions encore une fois que personne n’arrive, que tout est calme dans le parc, et hop ! nous sortons nos chiffons, nos boîtes de cirage et enduisons le visage des tirailleurs sénégalais. Nous ne restons pas trop longtemps car nous savons que nous risquons gros. Nous ne savons pas combien, mais gros.

Le lendemain matin, au rassemblement dans la cour, tout se passe comme d’habitude, il fait un peu frais et nous sommes plusieurs à sortir d’une seule et haute voix notre blague habituelle et inoffensive : « On a chaud, Colas ! ». Colas, c’était ainsi que s’appelait le sous-officier chargé de notre surveillance  (le pauvre), plutôt brave malgré tout, cela arrive même chez les sous-offs’.

 

Après notre forfait nous attendions impatiemment une réaction de la direction de l’établissement, tenue par des officiers n’ayant pas nécessairement le sens de l’humour. A midi, rien. Le soir, rien. Le lendemain, rien. A croire que personne ne jetait jamais les yeux sur le monument, au bout du parc il est vrai. Nous n’osions pas nous en approcher pour  voir s’il avait été nettoyé (je dirais maintenant « restauré ») de peur de nous faire remarquer et qu’on nous identifie.

 

 

Les jours passaient, le baccalauréat s’approchait, nous oubliions petit à petit cette aventure nocturne. Il est certain qu’un jour la direction s’aperçut de la nouvelle bichromie du monument, et le fit nettoyer. Cela d’autant plus qu’il se trouve très exposé lors de la traditionnelle cérémonie du « 2S », tous les deux décembre. Le jeune officier mort au combat au Maroc et représenté héroïquement sur le monument, Pol Lapeyre, était devenu le parrain de la « Corniche », qui rassemble les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles militaires.

 

J’avais en commun avec Saint Augustin le fait que j’avais le même âge que lui au moment de son fameux vol de poires, à quelques mois près. Deuxième et dernière similitude avec le grand homme, j’étais dans le même état d’esprit que celui qu’il avait ressenti pendant son forfait, qu’il décrit dans Les Confessions. Ce qu’il avoue, ce n’était pas tant la perturbation intérieure créée par le fait de voler des fruits, mais la jouissance qu’il avait eue à commettre cet acte, le plaisir de la transgression qu’il avait ressenti, sans aucune culpabilité. C’était aussi mon cas.

Ce fut ma première intervention sur une sculpture, pas tout-à-fait dans le bon sens, sans aucun doute. Evènement mineur ressorti de ma mémoire à l’occasion de la rédaction de ce blog, je ne pense pas qu’il faille lui accorder plus d’importance que cela, comme par exemple en faire un élément déterminant quant au choix de mon futur métier, la restauration de sculptures. Mais les mettre en rapport est assez amusant.

Contrairement à Saint Augustin pour qui la jouissance du vol de poires était devenue une faute grave une fois venu le temps de l’introspection, je n’ai jamais trop culpabilisé, même si je reconnais que la farce n’était pas du meilleur goût. Bien des années plus tard je m’octroie toujours des circonstances atténuantes, vu mon état d'adolescent farceur, mais aussi imbécile et ignorant.

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