Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 avril 2018 4 12 /04 /avril /2018 10:33

1985-86 Le chemin de Rome passe par l’Autriche

 

 

Vienne

 

Dans un train-couchettes on n’enlève que ses chaussures et on dort tout habillé, quand on arrive à dormir. J’étais trop excité pour en avoir envie, étant donnée ma destination : Vienne !

Je préférais passer ce début de nuit dans le couloir, plutôt que tenter un endormissement improbable.

Vienne, le train n’y était pas encore, loin de là ! Il n’avait pas encore passé la frontière autrichienne et roulait curieusement comme un tortillard. Il s’arrêtait de temps en temps, ce qui me permettait d’admirer la multitude de décorations de Noël que les bavarois disposent dans leurs jardins et sur leurs maisons. Le spectacle était magnifique, le retard du train, moins. Je sentais chez les  autres voyageurs une sorte d’inquiétude, dans la mesure où mon allemand de niveau plutôt moyen me permettait de comprendre la situation. Petit à petit les informations arrivaient : une brutale vague de froid s’était abattue sur l’Europe centrale en cette nuit de début janvier 1985, et avait désorganisé temporairement les transports.  

 

A la sortie du train puis de la gare centrale de Vienne, le froid fut d’une telle vivacité que l’affronter fut une véritable épreuve, mon gros pull à col roulé et mon blouson en peau retournée (c’était la mode) n’était guère suffisants. La température était de 2 degrés à mon départ de Paris, il faisait -22 à mon arrivée à Vienne. Les aiguillages du tram étaient bloqués, fait rarissime, ce qui m’obligea à trainer ma valise à pied jusqu’à l’Arsenal, là où se trouvent les locaux du Bundesdenkmalamt. C’était mon lieu de stage, centre de recherche et de restauration autrichien surtout destiné à l’entretien du patrimoine équivalent à celui de nos Monuments Historiques français.

 

Ce stage obligatoire à l’étranger dura trois mois. Un mois aurait suffi. Je n’appris que peu de choses dans le domaine de la pierre, les traitements étant proches de ceux appliqués en France pour nos Monuments Historiques, c’est-à-dire assez rudes. Je vis aussi des traitements assez drastiques des grands formats de peintures sur toile, particulièrement pour le refixage de la couche picturale. L’utilisation de grandes presses peu délicates écrasaient tout empâtement de la peinture.

J’eus par contre la chance de travailler quelques semaines avec une restauratrice de polychromie réputée, Giovanna Zehetmeyer, sur un  retable du Belvédère inférieur, bâtiment conservant surtout des œuvres de la fin du Moyen Age, de la Renaissance et du début du Baroque. Comme souvent dans les œuvres foisonnantes, les portraits, trognes ou attitudes  des personnages secondaires étaient bien plus attirants que la sculpture des personnages principaux, plus convenus. 

L’essentiel du travail était d’une apparente simplicité : nettoyage léger de la très fragile polychromie au bâtonnet de coton légèrement humecté (salive ou eau avec tensioactif). Si la technique était simplissime, la seule d’ailleurs à permettre un résultat satisfaisant, son exécution requérait concentration et finesse.

 

J’avais très peu de moyens financiers.

L’amertume est vive quand on a du temps, qu’on se trouve dans un lieu exceptionnel et qu’on ne peut en profiter correctement faute de moyens. Quand, de plus, on est loin de sa famille et de ses tout jeunes enfants, il n’y a pas que des bons moments.  

Je marchais beaucoup et visitais la ville… à pied. Au dégel je poussais un peu plus loin, m’égarais en totale solitude au cimetière où Mozart fut enterré. Moment émouvant. J’appris qu’il est normal qu’on n’ait jamais retrouvé ses restes, puisqu’un décret impérial ordonnait à l’époque d’y être enterré sans cercueil et sans identification.

J’allais encore plus loin vers le cimetière central, voir non sans émotion également le « carré des musiciens ». Que de musiques doivent venir à l’esprit des visiteurs de ce lieu !

Je me souviens aussi de quelques visites dont l’appartement de Freud avec son fameux canapé rouge et bien chargé, puis de nombreux passages au Kunsthistorisches Museum : souvenirs éblouis des Bruegel, Bosch, Van Eyck, Van der Weyden… ainsi que les impressionnants Klimt au Belvédère supérieur.

 

Sans oublier un petit tour en banlieue, goûter le fameux petit vin blanc de Grinzing !

 

 

 

Les premiers travaux et le diplôme

 

Revenu à Paris, il me fallait préparer ma soutenance et faire la restauration de ma pièce de diplôme, une Vierge à l’Enfant bourguignonne du XVème siècle.

Les modalités de la soutenance pour l’obtention du diplôme n’avaient pas encore été clairement établies. L’IFROA était jeune et cafouillait encore beaucoup ! C’était inévitable dans la mesure où la formation était gérée par une association loi 1901, donc non institutionnelle. Ainsi, formellement, il n’y a jamais eu de « diplôme » de l’IFROA, seule une « attestation de soutenance du mémoire de fin d’études avec succès » fut délivrée par l’administration, bien des années après. Je ne reçus la mienne qu’en… 2006 !

Je sortis officiellement de mes études en septembre 1985, et passai ma soutenance seulement en mars 1986, tout en étant un des premiers. J’avais été un des premiers étudiants à utiliser un ordinateur personnel avec imprimante, qui était d’ailleurs plus traitement de texte qu’autre chose. Quelle époque ! Sa mémoire vive totale était dérisoire (128 ko) et l’image numérique grand public n’existait pas encore.

 

 

Du point de vue du travail, nous étions lâchés dans la nature à notre sortie de l'IFROA : pas de création de poste dans la fonction publique, pas ou peu de proposition de devis de la part des institutions publiques,  la débrouillardise dans le secteur privé comme celui des antiquaires. Après avoir fait le tour des boutiques, je finis par m’entendre proposer une restauration par un marchand, situé quai Malaquais. Ce fut une aventure malheureuse, mais somme toute banale.

Il aurait voulu que je repeigne en faux vieux une statue en bois du XVIIème, pour un prix dérisoire. Nécessité économique faisant loi, j’avais réussi avoir le travail en négociant un compromis de traitement, tout en respectant un minimum les traces de polychromie présente. L’antiquaire aurait préféré la meilleure mise en valeur possible, pour vendre bien sûr. Il ne me sollicita pas pour un autre travail.

Heureusement Alain Erlande-Brandenbourg, conservateur du musée de Cluny qui m’avait confié la pièce de diplôme (qui était en fait un dépôt du Louvre), me commanda l’étude et la première phase de restauration d’une cheminée sculptée monumentale pour le musée de la Renaissance. Je pouvais survivre ainsi quelques mois supplémentaires.

 

Le hasard d’une conversation qui change une vie

 

J’étais resté dans le conseil d’administration de l’association des élèves et anciens élèves. Nous avions parfois rendez-vous avec Jean Coural, le directeur de l’IFROA, pour aborder les diverses questions du moment.

 

A la fin d’une réunion, nous eûmes une conversation qui allait changer ma vie. De son ton bonhomme et bienveillant, Jean Coural aborda un tout autre sujet :

  • Savez-vous qu’il existe des places de restaurateurs/pensionnaires à la Villa Médicis ? La clôture du concours est imminente, aucun des candidats ne vient de l’IFROA, ce qui est bien regrettable.
  • Euh…euh…  non, pas vraiment, non, nous n’avons pas été mis au courant.
  • Tenez, par exemple, Monsieur Delivré (dit-il en se tournant vers moi, avec un ton et un regard assez directifs), un sujet porteur serait l’étude et la restauration de la grande collection des moulages de la Villa, que vous connaissez certainement n’est-ce pas ? Cela ne vous intéresserait-il pas ?

N’ayant que peu de connaissances sur cette lointaine institution assez vieillotte à mes yeux, n’en ayant pas plus sur cette collection de moulages dont je mésestimais l’importance, je n’en revenais pas et bafouillai :

  • Euh…. oui, je connais un peu…. euh... oui, bien sûr, cela m’intéresserait…. (je ne m’étais pas plus intéressé à la problématique des moulages anciens qu’au reste. Par contre, faire un petit ou grand séjour à la Villa Médicis… ).
  • Très bien ! Réfléchissez bien, Monsieur Delivré, et revenez me voir. Mais très vite, demain matin au plus tard, mon secrétariat vous donnera aussi les détails administratifs. Commencez même à préparer votre dossier : l’inscription au concours d’admission est close ce soir ! Nous dirons que vous l’avez déposé ici et non à l’administration de l’Académie de France à Rome.

Jean Coural était-il donc si puissant, pour me demander de constituer un dossier de candidature le lendemain même de la clôture officielle des inscriptions ? Pour ma part j’étais lucide : certes, mes formations, académiques ou non, commençaient à s’étoffer, en plus d’une expérience professionnelle non négligeable ; mais j’étais aussi une pièce dans la stratégie de mise en valeur de l’IFROA.

Par l’autonomie qu’il me donnait, l’ordinateur acquis quelque temps auparavant pour mon diplôme allait me permettre de réagir extrêmement vite. 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Jean Delivré
  • : Création - Patrimoine
  • Contact

Recherche

Pages

Liens