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16 février 2018 5 16 /02 /février /2018 12:36

1976 (été) Versailles De la coupe des pierres chez les femmes-soldats

 

 

Quand vous arrivez à Versailles de Saint-Cyr-l’École, après avoir laissé l’Orangerie du Château à gauche et la pièce d’eau des Suisses à droite, vous faites quelques centaines de mètres en ville pour arriver à un carrefour en T. Vous ne pourrez donc continuer votre route qu’en tournant à gauche ou à droite. Cependant se trouve en face de vous un grand porche de facture classique, généralement fermé par une large et haute grille. Si cette grille est malgré tout ouverte et que vous en franchissez le seuil, vous  pénétrerez bientôt dans une rotonde puis dans une grande cour cernée de bâtiments qui, en 1976, servait de casernement à des femmes-soldats. Non pas des guerrières mais des membres du Personnel Féminin de l’Armée de Terre (PFAT), essentiellement attaché à des services administratifs. Hiérarchiquement, ces femmes (qui avaient « signé » leur engagement comme les hommes) faisaient partie d’un bataillon commandé par… une commandante. Cet officier avait bien sûr besoin de se déplacer sur Versailles ou Paris pour réunions ou autres ; elle avait besoin d’un véhicule de fonction, et donc… d’un chauffeur.

Or j’avais fini par résilier mon sursis que j’avais pu par mes anciennes études prolonger sans difficulté. C’était encore le temps de la conscription ! J’étais donc parti de Toulouse et de chez les Compagnons pour faire mon année de service militaire.

 

Le hasard fit que je remplis la  mission de « chauffeur de la commandante » pendant les 6 derniers mois de mon service, après avoir fait 2 mois de « Classes » à Fontainebleau, puis 4 mois au 1er Régiment du Train à la caserne Dupleix, dans le haut du 15ème arrondissement, caserne détruite en 1989. Je n’étais pas fâché de ne plus conduire un de ces énormes camions de transport de troupe et de me retrouver au volant plus tranquille d’une Peugeot de moyenne catégorie.

Je me retrouvais dans un monde exclusivement féminin, mis à part la présence d’un autre jeune homme, engagé, qui officiait comme cuisinier. Nous avions une chambrée pour nous deux que j’utilisais en fait très peu, ayant eu la possibilité (officielle) de m’absenter la plupart des nuits pour aller retrouver celle qui allait devenir plus tard la mère de mes filles…

 

 

On m’avait averti : à la première incartade chez ces dames militaires (tout le monde comprendra) on m’envoyait en bataillon disciplinaire en Allemagne. Mon attache affective et cet avertissement étaient largement suffisants pour que je reste sage, même si, du côté de quelques dames en manque je perçus quelques attitudes non équivoques, qui restèrent donc sans suite.

 

 

J’étais comme un coq en pâte : les PFAT étant au travail à midi, le cuisinier ne faisait alors à manger que pour moi. Nous nous entendions bien (même s’il était fan absolu de Johnny), j’étais plutôt bichonné !

De plus, la « commandante » m’avait questionné un peu sur mon parcours. Apprenant que mon père était officier elle avait décidé de me prendre sous une protection presque maternelle. J’avais jusqu’à présent évolué dans des milieux uniquement masculins, ça ne me déplaisait pas de changer un peu.

 

A mon départ j’eus 2 cadeaux, qu’on m’avait demandé de choisir : Je demandai un livre d’histoire de l’art et un disque de musique baroque qu’on me remit lors d’une petite fête.

Des cadeaux pour « la quille » ! Je suppose que beaucoup de bidasses n’ont pas eu ce genre de faveurs.

 

 

Mais je n’avais pas fait que « glander » pendant mes longues heures inoccupées dans cette caserne de femmes, même s’il y avait un salon musique/bibliothèque avec piano à peu près accordé, dont je jouais sans modération. Je pouvais poursuivre ma formation de tailleur de pierre par  correspondance, avec inscription à des cours de stéréotomie  au Centre National de Télé-enseignement. J’avais donc dans ma chambrée ma petite planche à dessin, mes crayons, règles et compas et passais des heures à dessiner fenêtres, voûtes….

 

S’il était peut-être pratiqué et enseigné avec une dose de secret dans les loges de tailleurs de pierre de la fin du moyen-âge et des siècles qui ont suivi, l’ « art du trait », sortit petit à petit de ce domaine réservé aux initiés pour être développé de façon scientifique à partir du XVIIIème siècle. On l’appelait alors déjà « stéréotomie », étymologiquement « coupe des solides », qu’on transforme souvent en « coupe des pierres », dont les mêmes règles de base issues de la géométrie descriptive peuvent être appliquées dans d’autres métiers de l’architecture (charpente) mais aussi dans l’artisanat ou l’industrie (chaudronnerie). Pour la taille de pierre il s’agit de savoir « découper » les blocs à l’aide de gabarits eux-mêmes découpés sur l’épure tracée au sol ou au mur, c’est-à-dire tailler ces blocs afin qu’ils s’ajustent les uns aux autres pour obtenir l’ensemble souhaité comme un arc oblique en plein cintre, une voûte, un rampant d’escalier…

 

 

J’avais découvert petit à petit chez les Compagnons du Devoir que les « secrets du métier » appartenaient plus au domaine du phantasme qu’à la réalité. Il y avait donc encore moins raison pour moi de continuer à supporter la coercition exigée par cette communauté (voir chronique précédente). Je savais que je pouvais continuer à apprendre ailleurs.

L’excellence du « métier » que les Compagnons possèdent est indéniable, mais n’est plus en rien liée à un enseignement caché, qu’on apprendrait « en loge ». Elle est plutôt due à la multiplication des expériences professionnelles que permet le  Tour de France, ainsi qu’à la méthode d’enseignement technique éprouvée depuis tant de temps, avec par exemple la réalisation finale d’un « Chef d’œuvre » durant les dernières années de formation. Un travail acharné aussi, pendant de nombreuses années, ne pouvait que porter des fruits. Ainsi, à Toulouse nos horaires de tailleurs de pierre étaient un peu fous : entre 9h et 10 h de travail par jour en entreprise la massette à la main, plus 2 heures de dessin technique et de formation générale le soir après le diner…

 

Quant à la technique manuelle pure, celle de l’outil façonnant la matière et des « coups de main » à acquérir face à telle ou telle situation, elle s’apprend petit à petit, sur le tas, dans les ateliers ou les chantiers, en milieu ouvert et là où finalement rien ne peut se cacher

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